Dans la préface d'une brochure consacrée il y a quelques années à l'histoire de son village, il évoquait, avec émotion, ses promenades d'enfant, dans les champs, accompagné d'une grand-mère qu'il adorait, puis ses randonnées de jeune adolescent, errant pendant des heures, dans la magnifique forêt d'Othe, sans rencontrer âme qui vive, et sans qu'aucun autre bruit ne vienne troubler le silence que le cri des buses tournoyant au'dessus des bois. C'est sans doute cette jeunesse campagnarde, si propice aux méditations fécondes, qui développa en lui son goût de la solitude, de la solitude et du silence, "cet élément dans lequel, nous dit Maurice Maeterlinck, se forment les grandes choses pour qu'enfin elles puissent émerger, parfaites et majestueuses, à la lumière de la vie qu'elles vont dominer".
Après d'excellent études secondaires au Lycée de Sens, Gaston Ramon se prépare à l'examen d'entrée à l'Ecole d'Alfort. Il y est reçu brillamment, et en sort, en 1910. Il envisage alors d'entrer, comme fonctionnaire, au Service Vétérinaire de la Seine.
Mais, pendant ces quatre années passées à Alfort, il a pris intérêt aux travaux de Laboratoire. Son Maître, le Professeur Henri Vallée, qui l'a initié à Bactériologie, a remarqué ses qualités. Il le présente à M. Roux. Celui-ci, qui sait peser les hommes, lui offre un poste à l'annexe de Garches.
La carrière du jeune vétérinaire est désormais fixée: il sera pastorien. Et le voilà, en 1911, au Service de Production des Sérums, auprès du Vétérinaire Prévot.
La tâche qui lui est assignée est bien ingrate; elle consiste à immuniser des milliers de chevaux, et à recolter des dizaines de milliers de litres de sérum.
Il avait rêvé de s'adonner à la recherche: la réalité journalière, faite de besognes essentiellement techniques, aurait pû le décevoir. Elle ne fait que stimuler son ardeur. Et, en attendant de pouvoir expérimenter lui-même, il enregistre maintes observation originales qui exerceront une grande influence sur l'orientation future de ses recherches.
La guerre survient: devant la menace d'investissement du camp retranché de Paris, ordre est donné d'évacuer, sur l'Ecole Vétérinaire de Toulouse, le Service de Sérothérapie de Garches. ramon y est affecté. Il y fait la connaissance de Borrel, providence du jeune pastorien, et, plus tard, de Maurice Nicolle, qui l'initie à l'expérimentation.
Mais la tâche matérielle devient chaque jour plus pesante. L'armée réclame, pour ses blessés et ses malades, des quantités considérables de sérum. Ceux-ci, transportés dans des conditions défectueuses, risquent de se contaminer et de devenir inutilisables. M. Roux charge le jeune préparateur de rechercher le meilleur antiseptique susceptible d'en préserver la stérilité
Ramon se souvient d'avoir lu dans un livre de Monvoisin, son Chef de Travaux de Chimie à l'Ecole d'Alfort, qu'on peut ajouter au lait du formol, sans le dénaturer. Il vérifier que cet antiseptique additionné au sérum, en proportions convenables, n'en altère ni les qualités physiques, ni les propriétés spécifiques. Il conseille d'y recourir. C'est un succès.
Ces premières recherches, qui demeurent inédites, soulignent les qualités d'observation et l'esprit méthodique de jeune chercheur.
Elles achèvent de lui gagner la confiance de M. Roux, et aussi son estime, puisqu'il lui donne, en 1917, la main de sa petite nièce et filleule, Marthe Momont.
Les portes vont-elles s'ouvrir dès lors plus largement devant lui? Oui, mais bien modestement cependant. Car ce n'est qu'au lendemain de la guerre que M. Roux et M. Louis Maritn l'autorisent à installer, dans une pièce voisine de son logement de l'annexe de Garches, un Laboratoire, si tant est qu'on puisse donner ce nom à un obscur réduit de quelques mètres carrés. Comment ne pas songer au grenier de la rue d'Ulm, berceau de tant de géniales découvertes?
C'est là que Ramon va faire ses plus originales recherches. Il constate d'abord, en 1922, que lorsqu'on met en présence toxine et antitoxine diphtériques, on voit apparaître une floculation caractéristique. Certes, Calmette et Massol avaient déjà décrit, en 1909, un phénomène analogue en étudiant les propriétés du venin de cobra et du sérum spécifique.
Mais l'esprit d'observatoin de Ramon apporte une notion capitale, entièrement nouvelle:
La floculation se manifeste d'abord dans le mélange où sérum et toxine sont exactement neutralisés.
Cette floculation initiale, a donc une signification précise: elle permet de titrer, in vitro, en quelques heures, les sérums antidiphtériques.
Il n'est plus nécessaire, dès lors, de recourir à la classique méthode d'Ehrlich, in vivo, qui réclame plusieurs jour d'observation et l'emploi d'un grand nombre d'animaux. Le "test de Ramon", qui peut s'appliquer qu titrage de tous les sérums antitoxiques, est aujourd'hui utilisé dans tous les laboratoires de Bactériologie du monde entier.
Ces recherches - qui eussent déjà pû, à elles seules, assurer la notoriété internationale de leur auteur-n'étaient que le prélude à d'autres découvertes fondamentale.
Pour protégér de contaminations microbiennes les toxines qu'il étudiait, Ramon eut l'idée de les additionner d'un peu de formol. Or quelle ne fut pas sa surprise de constater que ces toxines formolées, tout en conservant leur pouvoir floculant, devenaient inoffensives pour le cobaye!
Dans une not présentée le 2 juin 1923 à la Société de Biologie, il précise qu'il a pû obtenir cette transformation complète et irréversible en laissant la toxine "mùrir" pendant un mois, à 39°, en présence d'une quantité convenable de formol.
Et c'est alos l'éclair de génie: une telle toxine, devenue inoffensive pour l'animal, serait-elle encore capable d'immuniser?
Poursuivant fébrilement ses recherches, Ramon peut apporter bientôt à cette question, d'un intérêt primordial, une réponse affirmative.
Elle est donneé dans sa note du 3 décembre 1923, à l'Académie des Sciences, "Sur le pouvoir floculant et sur les propriétés immunisantes d'une toxine diphtérique rendue anatoxique", forgé sur les conseils de M. Roux. Le principe de l'hyper-immunisation des animaux peut être appliqué à la vaccination antidiphtérique de l'enfant. Il précise que "l'injection d'anatoxine diphtérique, pratiquée sur lui-même, n'a détterminé qu'une rougeur locale passagère, sans aucune autre réaction". Enfin, il annonce que ce mode d'immunisation est d'une portée générale et que ses constatations penvent s'appliquer notamment à la toxine tétanique.
Tout est contenu dans ces deux pages, et les publications des trois années suivantes ne seront que le développement harmonieux, en douze notes et mémoires, de cette géniale découverte.
A cette époque, les publications de Ramon sont signées de son seul nom. Car ce solitaire est encore un isolé, presque un inconnu. Souvent, la nuit, il vient, de son appartement tout proche de la petite chambre où Pasteur a achevé sa vie, surveiller, lui-même, les expériences en cours. Il fera, en trois ans, de son modeste laboratoire un centre de renommée universelle où se presseront, pour s'initier aux techniques d'un jeune Maître de 38 ans, les chercheurs du monde entier.
Mais, comme je le rappelais tantôt, Ramon a fait, lorsqu'il préparait des sérums antioxiques, quelques singulières observations. C'est ainsi qu'il a remarqué que, chez le cheval, la présence d'un oedème inflammatoire ou d'un abcès, au point d'injection de l'antigène, coïncide souvent avec une augmentation de taux d'anticorps dans le sérum de l'animal. D'où l'idée de reproduire artificiellement ces phénomènes inflammatoires en ajoutant à l'anatoxine, avant l'injection, des substances non spécifiques, telles que du tapioca ou du chlorure de calcium. On obtient alors, avec un minimum de risques pour la santé t pour la vie de l'animal, un sérum antidiphtérique dont la richesse en antitoxine atteint des taux impossibles à obtenir avec les méthodes classiques d'immunisation.
Cette découverte des "substances adjuvantes et stimulantes de l'immunité", dont la primeur a été réservée par Ramon à l'Académie, alors Société Centrale, de Médecine Vétérinaire, est'elle applicable à la vaccination humaine?
Ramon a l'idée, pour provoquer chez l'homme cette inflammation locale stimulatrice de l'immunité, d'associer, à l'anatoxine, un vaccin microbien. Avec Christian Zoeller, son choix se porte sur le vaccin anti-typhoparatyphique.
Les premiers essais confirment le bien-fondé de l'hypothèse: le taux d'antitoxine diphtérique est nettement plus élevé chez les sujets à qui a été injecté le mélange que chez ceux qui n'ont reçu que la même dose d'anatoxine seule. Nous sommes en 1926: la si féconde méthode des vaccinations associées est née.
Telles sont les trois découvertes fondamentales qui ont immortalisé le nom de Ramon! Presque toute son oeuvre scientifique en découle.
Aujourd'hui, la diphtérie et le croup, la terreur des mères, don Flaubert et Balzac nous ont laissé de terrifiantes descriptions, ont pratiquement disparu de notre pays, comme de toute les nations qui ont adopté le vaccin de Ramon.
Même succès, aussi spectaculaire, avec l'anatoxine tétanique. A la suite des essais entrepris sous la direction du Médecin Générale Inspecteur Rouvillois, la loi de 1936 rend son application obligatoire dans l'armée. L'immunisation, renforcée par l'injection de rappel préconisée par Ramon et en 1940 parmi nos troupes, et que, dans l'Armée britannique, le nombre de cas observés pendant les campagnes africaines et européennes de la deuxième guerre mondiale a été pratiquement négligeable.
Il en a été de même pour l'armée amércaine prémunie, elle aussi, par l'anatoxine, alors que l'armée allemande, non vaccinée, payait un lourd tribut à l'infection tétanique, malgré l'emploi systématique de la sérothérapie préventive.
A l'heure présente, des centaines et des centaines de millions d'êtres humains, répartis dans le monde entier, sont protégés, grâce aux vaccins anatoxiques et aux vaccinations associées, contre la diphtérie, contre le tétanos, et contre nombre de maladies infectieuses redoutables.
Dans un luminuex article, consacré, en 1938, aux anatoxines, le Professeur Pastuer Vallery-Radot a souligné l'ampleur de ces découvertes, "les plus remarquables qui aient été réalisées, en ces dernières années, dans le domaine de l'immunologie".
Aujourd'hui, à trois semaines de la date qui marquera le quarantième anniversaire de la présentation, à l'Académie des Sciences, de la communication princeps de Ramon, -anniversaire qu'il avait si soigneusement préparé par la publication de son dernier mémoire sur les anatoxines-on en mesure mieux encore l'immense portée.
Ramon, en réalisant l'immunisation préventive par des substances chimiques, privées de vie, stables, et facilement dosables, a accompli le voeu de Pasteur. A son OEuvre, plus qu'à tout autre, peuvent s'appliquer les paroles du Mâitre: "Laissez-moi vous dire le secret qui m'a mené au but. Ma seule force est dans ma ténacité".
Mais quelles que soient l'importance et l'ampleur de ces découvertes, elles ne constituent qu'une partie de l'OEuvre scientifique de Ramon.
Avec une inlassable persévérance, il se préoccupe de rendre plus efficaces encore, et d'un emploi plus commode, les méthodes d'immunisation anatoxique.
Ainsi, grâce aux améliorations qu'il apporte, avec A. Berthelot, Mercier, Pochon et Mlle Amoureux, à la préparation de milieux de culture, il parvient à augmenter leur valeur immunisante, réalisant de notables progrès dans la pratique de la vaccinaton dont il peut réduire le nombre des injections tout en accroissant l'immunité chez les sujets vaccinés.
Appliquant les mêmes principes et le même mode de préparation, il transforme en anatoxines: les poisons d'origine végétale, tels que la ricine, l'abrine; les toxines animales comme les venins (avec P. Boquet, Richous, Nicol et Mme Delaunay-Ramon); les toxinés microbiennes, telle que la toxine dysentériques (avec J. Dumas), celle des anaérobies de la gangrène gazeuse, la toxine botulinique, celle du staphylocoque (avec Bocage, Nélis, Nicol, Richou, Mercier et Ch. Gernez).
Il s'efforce d'atténuer, par le formol, la nocivité de certains vaccins tout en préservant leur valeur antigêne; il en est ainsi du vaccin contre le charbon symptomatique (avec Leclainche et Vallée), de l'anamorve (avec H. Legroux), de l'anavirus vaccinal (avec H. Bénard, Boquet, Richou, J.-P. Thiéry et J. Ramon), de l'anavirus aphteux (avec Lemétayer).
Nombreuses sont le préparation vaccinales auxquelles a été, par la suite, appliqué le même principe. Et la vaccination antipoliomyélitique de Salk, ainsi que l'ont fait justement remarquer le Professeur Debré et le Professeur Lépine, est directement inspirée des découvertes de Ramon.
Les progrès réalisés avec Boivin et Richou dans la préparation des anatoxines ont aussi permis à Ramon de substituer aux procédés anciens et empiriques de production des sérums thérapeutiques des méthodes nouvelles et plus scientifiques. On lui doit la purification des sèrums thérapeutiques antitoxiques, leur transformation en "solution d'antitoxine", dont l'emploi a considérabblement réduit la fréquence et la gravité des accidents sériques.
Il a aussi apporté une contribution très importante à l'étude des grands problèmes d'immunologie et de microbiologie générales.
Ses recherches sur l'imunité humorale naturelle, sur l'immunisation occulte, sur le passage transplacentaire des toxines et antitoxines (avec Nattan-Larrier et Grasset), des hémolysines (avec P. Lepine et Grasset), sur la participation indispensable de l'antigène spécifique à génèse et au développement de l'immunité antitoxique, sur le lieu d'origine des anticorps et leur mode de formaiton, sont d'une très grand porté générale.
Toutes ces études ont été singulièrement enrichies par la collaboration enthousiaste qu'il a trouvée auprès des médécins, qui, séduits par l'originalité de ses recherches, ont réalisé, avec lui, une heureuse union du laboratoire et de la clinique humaine.
Et je songe à Chr. Zoeller, à Nélis, à René Martin, à Kourilsky... Mais la plus féconde fut sans doute celle qu'il entretint avec le professeur Debré et ses élèves G. Sée, Jean Bernard, M. Lelong, S. Thieffry, Cl. Gerbeaux. C'est grâce à la collaboration si précieuse de tous qu'ont pû être parfaitement codifiées le règles d'application de la vaccination par les anatoxines.
C'est d'elle aussi que sont nés les remarquables travaux sur l'anatoxine du streptocoque scarlatineux, sur le pouvoir pathogène du bacille diphtérique, sur la paralysie diphthérique expérimentale, sur le traitement de la diphtérie par l'injection unique et massive d'antitoxine, sur la séro-anatoxithérapie de la diphtérie et du tétanos.
Une grande partie de ces recherches a été publiée dans la Revue d'Immunologie, que Ramon fonda, en 1935, avec les professeurs Robert Debré et Pasteur Vallery-Radot, et dont il confia le secrétariat de rédaction à son fidèle Richou.
Plusieurs d'entre elles avaient été présentées au Ier Congrès International de Microbiologie que présidait Jules Bordet et qu‘avait si parfaitement organisé, à Paris, in 1930, M. Dujarric de la Rivière.
Quand j'aurai rappelé les travaux de Ramon sur les anaferments, sur lèantagonisme microbien (avec Richou et Jean Ramon), et les propriétés antidotiques des filtrats de culture (avec Richou et P. Ramon) ceux qu'il a consacré à la médecine vétérinaire, notamment à la pseudo-tuberculose du cobaye et à l'anémie infectieuse du cheval, je n'auria donné qu'un imparfait aperçu d'une oeuvre d'une richesse exceptionnelle, exposée, en une langue admirable, dans plus de mille publications scientifiques, échelonnées sur cinquante ans d'un labeur ininterrompu.
Mais Ramon n'était pas seulement un chercheur, dont le génie avait imposé la personnalité au monde scientifique. A Garches, dans l'annexe dont il avait pris la direction à la mort de Prévot, en 1926, il avait donné la preuve de ses talents d'administrateur. Son esprit méthodique, son autorité, son sens de la discipline avaient fait de Garches un modèle d'organisation technique. Aussi, lorsque'en 1934, après la mort de M. Roux, le Conseil d'Administration de l'Institut Pasteur décida une réorganisation administrative et scientifique de la Maison, il plaça, aux côtés de Louis Martin, comme Sous-Directeur de l'Institut, Gaston Ramon, "jeune, actif, pastorien dans l'âme", et qui, selon les termes mêmes du Rapporteur de la Commission, le professeur Pasteur Vallery-Radot: "représentait l'avenir de l'Institut Pasteur."
Il devait en devenir Directeur en avril 1940, lors du départ à la retraite du Dr. Louis Martin, et le demeurer jusqu'à ce que M. Jacques Tréfouel, que ses découvertes sur les sulfamides avaient illustré, ait été désigné pour lui succéder, en décembre 1940.
Nommé Directeur honoraire de l'Institut Pasteur, G. Ramon n'a alors que 54 ans. Son ardeur, sa passion de la recherche, ne pouvaient s'accommoder d'une retraite prématurée. En 1947, le professeur Bugnard l'accueille come Directeur de Recherches à l'Institut National d'Hygiène; le Dr. Thierry lui ouvre son laboratoire d'Alfort. En 1949, Emmanuel Leclainche l'appelle à la Direction de l'Office International des Epizooties. Il y mène une campagne ardente en faveur de la lutte contre la fièvre aphteuse, la tuberculose bovine, la rage, la myxomatose.
Jusqu'à ses derniers jours, il s'efforcera, selon ses propres termes, "de se rendre utile" et de servir la médecine vétérinaire à laquelle il est fier d'appartenir. Conscient du rôle qu'elle a joué dans le développement scientifuique, il rendra hommage, en des notices particulièrement émouvantes, aux vétérinaires qui, comme Chauveau, comme Nocard, ont illustré la Science française.
L'hiver dernier, l'état de santé deM. Ramon s'était dangereusement aggravé. Une dyspnée presque permanente était venue, peu à peu, compliquer cett "allergie au cobaye" qui avait fini par lui interdire toute expérimentation sur cet animal.
Son état empira brusquement à la fin de mai. On dut le transporter d'urgence en clinique. Alors que, après une intervention chirurgicale, tout laissait présager le rétablissement de sa santé, et qu'il comptait regagner Garches les jours suivants, il succombait, brutalement, en quelques heures, dan l'après midi samedi 8 juin.
On n'eut connaissance de sa mort que lorsqu'elle fut officiellemnet annoncée à l'Académie des Sciences, le lundi 10. Il avait voulu que ses obsèques uessent lieu dans la plus grande simplicité. Sa volonté fut accomplie. Seuls quelques intimes purent venir saluer sa dépouille mortelle avant qu'elle ne fût conduite à Bellechaume où il est retourné rejoindre les siens, dans son village natal.
Il était âgé de 77 ans.
Ainsi disparaissait, austère comme le sage antique, celui qui fut l'un des plus grands médecins contemporains, et dont les recherches ont porté si haut le renom de la science française.
On demeure émerveillé, à une époque où la recherche scientifique exige des moyens matériels monstrueux, à la penséeque cet homme ait pu, à lui seul, avec une toxine, un sérum, un peu de formol et quelques cobayes, réaliser d'aussi géniales découvertes, et en tirer d'aussi spectaculaires et bienfaisantes applications. Coment ne pas rapprocher son oeuvre de celle de Calmette et de Guérin, déduisant, de leurs observation de l'action sélective de la bile sur les cultures de bacilles bovins, le principe du vaccin BCG; de celle d'Alexander Fleming, découvrant, sur une culture de staphylocoque, le principe de l'action antibiotique de la pénicilline?
Ramon figure dans la prestigieuse lignée des grands immunologistes qui, depuis Jenner, ont rendu les plus inestimables services à l'Humanité. Mais, comme Calmette, il ne connut pas la faveur du choix qui préside, à Stockholm, à la consécration internationale des savants.
Sa découverte était pourtant d'une originalité indiscutable, puisque là où Löwenstein, dont il ignorait les travaux, avait échoué, il avait lui, triomphé.
Il faut reconnaître que l'oeuvre de Ramon ne recueillit, à ses débuts, que réserve et scepticisme. Pourquoi ne pas rappeler les luttes qu'il eut à soutenir pour la faire prévaloir?
Qui ne se sounvient des campagnes dirigées, en 1938, contre la vaccination antidiphtérique? des attaques incessantes dont ell fut l'objet? des articles de press accusant l'anatoxine de tuer les enfants à qui on l'injectait?
Dans sa mémorable séance du 20 décembre, qui avait frappé Henri Bordeaux à tel point qu'il l'a rapportée dans une de ses oeuvres, notre Compagnie, en renouvelant à Gaston Ramon sa confiance et son estime, contribua puissamment au rayonnement de ses découvertes. Elle s'est montrée digne du grand rôle que lui a reconnu ici même, l'an dernier, M. le Ministre de la Santé Publique Raymond Marcellin: elle fut bien, ce jour-là, le grand Conseil de Réflexion et d'Orientation de la Médecine Française!
M. Ramon n'a pas seulement servi la science française par se découvertes. Il a encore contribué à la diffuser par de nombreuses mission à l'étranger, notamment aux Etats-Unis, au Canada (at Connaught Labs, Toronto, production supervised by Dr. Peter Moloney), en Allemagne, en Italie, en Yougoslavie, en Belgique. Il a été, partout, un prestigieuz ambassadeur de la France, et je me souviens de la vénération dont était entouré son nom lorsque, en 1934, introduit par une carte de recommandation écrite de sa ferme et nette écriture, je me présentais aux plus éminents microbiologistes ou immunologistes du Nouveau Monde.
Aux yeux de tous, il symbolisait le rayonnement, la pérennité de l'oeuvre de Louis Pasteur.
Bien qu'il ne les eût pas brigués, les honneurs ne pouvaient pas ne pas jalonner une aussi éblouissante carriére. Il est, en 1934, à la quasi unanimité des suffrages, élu à l'Académie de Médecine, dans la Section des Membres libres, à la place jadis occupée par Pasteur, et que venait de laisser vacante la mort de M. Roux.
En 1942, il entre à l'Académie des Science. Successivement, l'Académie Vétérinaire, l'Académie de Chirurgie l'ont appelé. Les Universités étrangères se disputent le privilège de le nommer Docteur Honoris Causa.
En 1952, L'Université de Marbourg lui décerne son rix von Behring, et, la même année, il reçoit l'une des plus hautes distinctions internationales, le prix Antonio Feltrinelli,qu'il remporte sur plusieurs prix Nobel.
L'Académie "dei Lincei" de Rome l'honore de sa médaille d'Or, et en 1959, en une cérémonie très simple et émouvante, le Ministre de l'Education Nationale lui remet, dans son cabinet, en présence de sa famille et de quelques intime, la médaille d'Or du Centre National de la Recherche Scientifique.
En 1956, il est fait Grand Croix de la Légion d'Honneur.
Bien loin de tirer vanité des distinctions les plus enviées, et de la renomée mondiale qu'il s'était acquise, M. Ramon avait gardé une grande simplicité et une parfaite modestie.
Nous le revoyons, venant prendre lentement, discrètement, sa place dans cette enceinte. Il n'aimait guère les grandes Assemblées et les paroles stériles.
Souvent, il ne faisait qu'une bréve apparition dans la salle des Séances, lui préférant le calme recueillement de la Bibliothèque.
Mais lorsque son oeuvre scientifique étaiten cause, ou lorsqu'il s'agissait de la Maison où il l'avait accomplie, alors cet homme si calme, si amène et si courtois, attaquait avec une fougue irrésistible. Qui ne se souvient de ses interventions passionnées lorsqu'il pensait qu'on pû lui disputer l'originalité de ses recherches?
D'un naturel réservé, et, pour qui le connaissait peu, d'un abord assez froid et distant, il cachait, sous un masque impassible, une sensibilité extrême. S'il montrait une fermeté et une autorité inflexibles dans l'accomplissement de ses fonctions de Chef, il était profondément fidèle à ses collaborateurs, à ses amis, à tous ceux à qui il avait accordé sa confiance et savait leur témoigner cet attachement par les attentions les plus touchantes.
Suivant la noble tradition que lui avait transmise son Maître, M. Roux, dont la pensée et l'affectueuse estime guidèrent toute sa vie, il était d'une absolue droiture, d'une honnêteté scrupuleuse, d'un total désintéressement. Ce savant, dont les découvertes ont bouleversé la médecine préventive, n'en voulut jamais tirer le moindre avantage personnel, laissant à la Grande Maison pour laquelle il a tant oeuvré, et à laquelle il n'a jamais cessé d'appartenir moralement tout le bénéfice de ses travaux. Sa vie tout entière, a été dominée par la passion de la recherche: il lui a tout sacrifié.
Elevé dans la rigueur des méthodes pastoriennes, animédu même idéal, il a, par la gloire de ses découvertes, magnifiquement servi le renom de la Médecine Française et son prestige aux yeux du monde entier.
Toute son existence fut un grand exemple que pourront méditer les jeunes générations à qui incombe la mission de poursuivre l'oeuvre grandiose de leurs aînés.
L'Académie, la France, l'Humanité tout entière, mesurent l'étendue de la perte que cause sa disparition.
Puisse Madame Ramon, qui fut, selon la plus pure tradition pastorienne, l'épouseattentive et dévouée du savant, dont elle sut partager les joies, et aussi les angoisses et les tristesses, trouver, ici, l'expression déférente de notre admiration respectueuse.
Que ses enfants, que ses petits-enfants, qu'il aimait tant voir rassemblés autour de lui, et dont il était fier, que son gendre, le Dr. Delaunay, dont l'oeuvre scientifique est si originale, reçoivent, eux aussi, l'expression de notre sympathie attristée.
Qu'ils soient assurés que nous garderons, vivant dans notre mémoire, le souvenir du grand Savant dont le nom est déjà inscrit dans l'historie des plus belles victoires pacifiques de l'Humanité.